Jacques Semelin : « La société civile ne peut pas tout attendre de l’État »

Jacques Semelin est historien et politologue, spécialiste de la résistance civile au sein des dictatures et de l’étude des massacres.

 

Tout dépend en fait de la capacité des sociétés à faire face à la peur. Ce qui compte avant tout, c’est la cohésion sociale et le potentiel de mobilisation dans la société, de mise en œuvre de la solidarité, du refus des amalgames. Ces gestes d’entraide ouvrent un autre avenir possible.

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Il faut néanmoins que cette force vive insufflée par la société civile soit suffisamment importante pour influencer un nouveau discours public, le contraindre à la dignité. Cela doit venir du bas, par la capacité de la société à faire lien et à montrer la force de la cohésion sociale sur les valeurs qui sont attaquées.

 

Ne pas essayer de se faire élire sur les morts

 

L’objectif de ces attentats est d’ailleurs de déchirer ce lien social. L’enjeu pour notre génération est de nous montrer à la hauteur. Or bien souvent, les discours politiques diffusent une angoisse généralisée et prennent le pas sur la réflexion. Là où il faudrait prendre de la distance face aux événements, on est dans la gestion d’une émotion collective à court terme.

 

J’en appelle donc aux hommes politiques. Ils doivent faire preuve de plus de sagesse et de dignité. Surtout, qu’ils n’essaient pas de se faire élire sur les morts. Ils doivent faire baisser la peur et rétablir un climat de dignité. Le tout sécuritaire, la surenchère, contribuent à faire monter l’angoisse et à exacerber les divisions à l’œuvre dans le pays, ce que cherchent précisément les organisateurs des attentats.

 

Les hommes politiques doivent se rapprocher des chercheurs, et cesser de dire n’importe quoi. À ce titre, le CNRS m’a confié la mise en place d’une École de formation à l’étude des processus de radicalisation qui ouvrira ses portes en septembre. Nous proposerons aux politiques, formateurs et associations des outils d’analyse utiles, sans avoir réponse à tout.

 

Faire attention à la relation ambiguë entre médias et terrorisme

 

Je m’adresse aussi aux journalistes de télévision. Depuis des années, les chercheurs ont mis en évidence la relation ambiguë qui existe entre médias et terrorisme. Celui-ci joue de l’émotion et anticipe le fait que les médias la relaieront largement. Le traitement de l’information par la peur et l’angoisse contribue à propager une émotion toxique au sein de la société.

 

La couverture des événements de Nice par France 2 a atteint des sommets dans le n’importe quoi. Il faudrait donc que chacun, à la tête des rédactions, comprenne que nous sommes passés dans un autre temps, et que la formation des journalistes français à la couverture du terrorisme est insuffisante.

 

Développer le dialogue interreligieux

 

Enfin, j’en appelle surtout à la société civile. Elle ne peut pas tout attendre de l’État. Chacun doit se prendre en charge sur ces questions. Il existe un travail associatif fondamental à développer avec les associations afin de lutter contre l’amalgame « terrorisme = musulman ».

 

Le dialogue interreligieux est aussi une formidable école de tolérance. C’est par là que l’on fait baisser la peur. Cette résistance de vie nous fait redécouvrir les valeurs de liberté, d’égalité et de fraternité. Après tout, « les peuples n’ont jamais que le degré de liberté qu’ils conquièrent sur la peur »disait Stendhal. »

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